"Comment le nudge influence notre comportement en ville ?" - Résumé du meet-up
Le 25 mars 2021, se tenait la 5eme édition de notre série de meetup. Découvrez le résumé des interventions passionnantes de nos participants !
Pour introduire ce meetup, Léa, chargée des affaires publiques chez Qucit, a présenté la mission de Qucit et sa technologie : rendre les villes plus agréables, durables et efficaces. Qucit développe notamment Qucit Comfort : un outil de consultation citoyenne qui permet de replacer l’usager au cœur de la fabrique des villes. Prendre en compte l’usager dans l’aménagement des espaces publics urbains est essentiel pour assurer des villes agréables.
La mission de Qucit nécessite de suivre de près les changements en cours dans les villes et force est de constater qu’ils sont nombreux à l’heure actuelle !
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Les nudges, ces dispositifs légers, peu coûteux qui encouragent la population à mettre en place des comportements vertueux, se sont multipliés ces dix dernières années, allant même jusqu’à s’immiscer dans l’espace public. Les acteurs de l’aménagement urbain et de la mobilité ont commencé à s’intéresser à ces dispositifs, en matière de signalétique urbaine avec l’exemple du passage piéton en 3D ou en matière de propreté avec les cendriers-sondages qui contribuent à la réduction des mégots de cigarettes dans les rues.
Comment le nudge tend à devenir incontournable dans l’espace urbain ? Par quels moyens les collectivités intéressées peuvent être accompagnées dans ce changement ?
Pour répondre à ces questions, ce meetup a réuni des intervenants de structures différentes : un cabinet d’études et de conseil (Psykolab), une direction interministérielle (DITP), un centre de recherche et d’expertise d’un grand groupe (Le Lyre - Suez).
Elles ont en revanche un point commun : celui de travailler sur la thématique des sciences comportementales via notamment le nudge.
Psykolab
La place du nudge dans l’aménagement urbain : sens et utilisation comme matérialisation des choix politiques en environnement urbain.
Intervenante : Mélanie Gat, psychologue sociale et fondatrice associée de Psykolab
Psykolab est un cabinet d’études et de conseils, spécialisé dans le design de produits et de services adaptés aux besoins psychologiques des personnes. Mélanie Gat et son équipe ont ainsi beaucoup travaillé sur le nudge, une méthode visant à encourager les citoyens à avoir des comportements positifs.
Définition et origine du nudge
Le nudge est un dispositif non-contraignant qui vise à inciter, encourager et dissuader un comportement dans un contexte précis en appliquant des leviers psycho-sociaux, déterminés grâce à une connaissance fine des déterminants qui poussent à prendre une décision.
Un exemple célèbre de nudge : la mouche peinte dans les urinoirs de l’aéroport d’Amsterdam. En incitant les usagers à viser le dessin, l’aéroport a diminué de 80% ses dépenses de nettoyage dans les toilettes des hommes.
A l’origine de la réflexion autour du nudge, on retrouve une problématique centrale : prenons-nous toujours les bonnes décisions ? En réalité, nos décisions sont faussement rationnelles. De bonnes informations et de bonnes intentions ne conduisent pas toujours à la bonne action. Et pour cause, l’environnement physique et social influence grandement nos choix.
Si le nudge est aujourd’hui très utilisé en management et en marketing, il permet avant tout de changer les comportements et les modes de vie tout en contribuant à l’amélioration de la qualité de vie. Pour bien “nudger”, il est ainsi nécessaire de se poser plusieurs questions :
De quels comportements parle-t-on ?
Quelles intentions de changement de comportement souhaite-t-on obtenir ?
Le nudge est-il suffisant pour changer un mode de vie ?
Comment faire un nudge ?
Pour réaliser un nudge, plusieurs étapes sont nécessaires :
Décrypter le périmètre d’action : définir le comportement sur lequel on veut agir et la situation de choix. Face à un comportement à adopter, plusieurs possibilités s’offrent à nous et il est important d’analyser toutes les options possibles dans le choix.
Travailler l’équilibre des ressources et de l’environnement : décrypter l’équilibre des ressources de l’environnement et travailler les freins et leviers stratégiques pour équilibrer cette situation de choix.
Évaluer l’impact : définir un protocole de mesure d’impact, prototyper l’action et mesurer l’efficacité des dispositifs mis en place.
Quelques exemples de réalisations
Projet “Monte”, Association Pep’s - 2015
Babies of the Borough, Oglivy Change - 2017
Améliorer l’orientation en gare, Psykolab - 2017
Améliorer la gestion des déchets en gare, Psykolab - 2017
Améliorer la sécurité aux passages à niveaux, Psykolab - 2018
La Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP)
Les sciences comportementales appliquées à l’action publique
Intervenant : Stephan Giraud, directeur du programme sciences comportementales à la DITP
L’équipe sciences comportementales de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) accompagne les administrations pour identifier des pistes de solutions nouvelles et plus incitatives, avant de les tester in situ.
Au-delà du nudge, les sciences comportementales
L’approche des sciences comportementales regroupe différents champs : les sciences cognitives, la psychologie sociale, la psychologie évolutionniste et l’économie comportementale. Ces champs ont pour point commun de s’intéresser à la prise de décision des individus.
Au niveau de l’Etat, les politiques publiques sont élaborées à partir de savoir-faire juridiques, comptables et financiers mais la dimension humaine, c'est-à-dire la manière dont les gens prennent des décisions, n’est pas forcément intégrée. Si le nudge essaie d’inciter un certain comportement, il est plus encore fondamental de comprendre les comportements pour essayer de concevoir des politiques publiques adaptées.
Les principales missions de la DITP
Améliorer l’efficacité des politiques publiques par la prise en compte des mécanismes de prise de décision et la méthode scientifique
Promouvoir une culture de l’évaluation d’impact et du partage des connaissances
Contribuer à la prise en compte du point de vue de l’usager
Les thématiques d’intervention
Focus sur un exemple de réalisation : Encourager les paiements dématérialisés
L’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS) est confrontée à une problématique singulière : celle de devoir inciter les auto-entrepreneurs à payer leurs cotisations en ligne. Pour aider l’ACOSS sur ce sujet, l’équipe de sciences comportementales de la DITP a réalisé un travail en trois grandes étapes :
1. Comprendre
La première étape consiste à comprendre le sujet, les enjeux techniques et le postulat comportemental. Cette démarche a permis de comprendre que les auto-entrepreneurs étaient des usagers singuliers. Elle a également révélé les problèmes structurels et techniques liés à l’offre de service de l’ACOSS.
2. Concevoir
Après avoir encouragé l’ACOSS à repenser son offre de service, l’équipe de la DITP a conçu une lettre simplifiée pour encourager les auto-entrepreneurs à payer en ligne. Trois variations ont été introduites :
Un message soulignant la norme sociale. “Plus de 80% des AE de votre région paient déjà leurs cotisations en ligne”.
Un message soulignant l’obligation de payer en ligne et le fait que les URSSAF vérifient les paiements.
Une aide à la planification, visant à encourager les cotisants à planifier quand et comment ils paieront.
3. Évaluer
Pour évaluer le dispositif, l’équipe de sciences comportementales a mis en place un Essai Contrôlé Randomisé (ECR) avec plus de 15 500 auto-entrepreneurs. Les premiers résultats ont montré que les trois lettres envoyées ont permis d’augmenter significativement la proportion d’auto-entrepreneurs payant en ligne. La lettre rappelant l’obligation de paiement en ligne a eu l’effet le plus large, augmentant par près de 60% le taux de paiement en ligne.
Le LyRE
Nudges : accompagner aux changements de pratique dans l’eau et les déchets
Intervenante : Julia Barrault, sociologue et responsable du Pôle Acteurs et Usages du LyRE
Le LyRE fait partie du réseau des centres d’expertises de SUEZ et participe au développement de démarches novatrices pour répondre aux enjeux de l’eau et de l’environnement. Le LyRE croise des compétences variées afin de proposer des solutions innovantes au service de la gestion quantitative et qualitative de l’eau, tout en intégrant les attentes des usagers et de l’environnement.
La méthodologie du nudge
Dans les grandes entreprises majoritairement composées d’ingénieurs et de techniciens, il est rare de penser à l’impact des outils et des services développés sur les usagers et à leur rôle sur le fonctionnement d’un service public. Si les solutions techniques sont nécessaires, elles ne sont pas toujours suffisantes pour faire évoluer les pratiques. Il faut agir à la source en proposant des solutions préventives plutôt que curatives, comme le nudge, qui sont généralement moins coûteuses, plus pérennes et attendues par les collectivités.
Aujourd’hui, la plupart des stratégies nudges mises en oeuvre adoptent le même schéma scientifique :
Quelques références
Encourager le tri dans les espaces de bureaux, Paris (Tour CB21)
Pas de lingette dans les toilettes, Orléans Métropole
Les avaloirs ne sont pas des poubelles, Paris
Favoriser la propreté urbaine, Aix-Marseille Provence Métropole (en partenariat avec BVA Nudge Unit)
Optimiser la collecte des déchets de consommation nomade, Bordeaux Métropole (en partenariat avec l’école de design Lim’Art)
Les nudges : des solutions attrayantes mais difficiles à concrétiser
Le nudge est une solution attrayante qui intéresse beaucoup les collectivités et les grands groupes comme SUEZ. Il permet notamment de renouer le dialogue avec les usagers en luttant contre l'éco-lassitude ou l’écologie punitive et de mettre en valeur des expertises en sciences humaines et sociales. Cette méthodologie permet d’accompagner les collectivités dans le changement de comportement de leurs citoyens et à la réduction des incivilités.
Cependant, les processus de mise en place d’un nudge restent difficiles à concrétiser.
Ces démarches sont souvent plus chères qu’elles n’y paraissent, surtout lorsqu’il y a une volonté de faire participer les usagers. En effet, en faisant participer les usagers via des ateliers, il est difficile d’appréhender ce qu’il va ressortir de la discussion, et notamment du nudge qui sera élaboré. Cela rend le chiffrage difficile à déterminer.
Il y a également une confusion entre le nudge et ce qui relève des actions de communication et de sensibilisation qui n’ont pas vocation à modifier un comportement.
Le nudge n’est qu’une des nombreuses solutions d’accompagnement au changement. La pédagogie, une organisation adaptée, l’introduction d’une nouvelle réglementation ou encore une incitation financière sont autant de solutions pouvant être plus pertinentes selon les thématiques abordées.
Échanges
Les réactions des participants et les questions ont été très riches autour de deux thèmes principaux :
La réflexion autour de l’infantilisation provoquée par le nudge
C’est une critique récurrente au sujet du nudge, un sujet que l’on peut retrouver fréquemment dans la littérature. Il faut dire que la conception du nudge par Sunstein et Thaler a été réalisée dans une mouvance de paternalisme libertarien, une sorte de troisième voie entre le non-Etat et l’interventionnisme étatique dans un contexte américain. Cela peut expliquer ce sentiment d’infantilisation. Toutefois, cette question ne se limite pas au nudge. C’est une réflexion plus générale sur l’intervention étatique, de la puissance publique dans la sphère privée. Il y a donc davantage un sujet d’éthique plutôt que d’infantilisation.
C’est une réflexion que Psykolab a pu recevoir de la part d’associations au sein d’un projet avec la métropole de Lyon par rapport à des dispositifs de tris nudgés, de couleurs très vives. Ce choix de couleurs peut effectivement renvoyer à une certaine infantilisation, mais ce sont aussi, cognitivement, des éléments intuitifs.
Le nudge dans la crise sanitaire
La DITP a été beaucoup sollicitée sous des angles divers. L’équipe a notamment pu travailler sur des communications du gouvernement, afin que celles-ci soient plus engageantes. Cependant, la DITP a été beaucoup plus interrogée sur des sujets de fond, pour comprendre les comportements humains pendant le confinement et le déconfinement dans des contextes particuliers (école, transports, etc). L’équipe de sciences comportementales a également accompagné les administrations sur des effets collatéraux ou intrinsèques de la pandémie, notamment sur le fonctionnement des EHPAD.
Un grand merci à Guilia David d'Avitem pour cette synthèse qui illustre parfaitement les échanges durant le meetup.
Nous remercions une nouvelle fois nos intervenants Mélanie Gat, Stephan Giraud et Julia Barrault pour la qualité de leurs échanges.
On se retrouve très vite pour un prochain évènement sur la Ville de demain !