Le vélo partagé à Taïwan
Aujourd’hui, c’est du côté de Taiwan que nous partons explorer la micromobilité partagée.
N’ayant cessé de se développer depuis le lancement de YouBike à Taipei en 2009, Taïwan a construit l’un des écosystèmes de vélo partagé les plus complets d’Asie. Ce système est désormais présent dans la plupart des grandes villes et de nombreux comtés ruraux (comme Taipei, Nouveau Taipei, Taoyuan, Hsinchu, Taichung, Chiayi, Tainan, Kaohsiung, etc.).
Cette croissance rapide n’aurait pas été rendue possible sans certains facteurs : un modèle public-privé associant municipalités et Giant (opérateur et fabricant principal), des politiques favorisant l’accessibilité au plus grand nombre ainsi que l’investissement dans une technologie innovante, notamment une modernisation technologique (YouBike 2.0 puis 2.0E). Le perfectionnement continu de ce système a été la clé du succès du vélo partagé.
Malgré tout, des défis persistent, qu’ils soient opérationnels ou qu’ils concernent l’attractivité de nouveaux usagers. C’est pourquoi cet article présentera les dynamiques locales, les politiques publiques, avant de mettre en lumière les enjeux opérationnels et les perspectives d’avenir du vélo en libre-service à Taïwan.
I- Les principaux systèmes de Taiwan
Depuis 2009, le vélo en libre‑service (YouBike) s’est considérablement développé à Taïwan. Le service YouBike, lancé à Taipei en mars 2009 avec 11 stations et 500 vélos, a su conquérir tout le pays. Au total, selon les sources officielles, le réseau national compte plus de 6 800 stations (1 582 stations de l’ancienne version 1.0 et 5 246 de la version 2.0), et quelque 653 millions de locations cumulées fin 2022. Le système a vu ses usages exploser : avec 22 millions de trajets en 2014, soit deux fois plus qu’en 2013. La fréquentation continue de croître avec l’extension du réseau. Les nouveaux vélos sont conçus pour un usage intensif et intègrent suivi par puce RFID pour réduire le vol. De leur côté, les municipalités ont mis en place des mesures pour incitatives, comme 30 premières minutes premières gratuites ou assurance comprise, pour promouvoir le vélo comme moyen de transport urbain durable. Alors, pour comprendre l’engouement du service dans le pays, il faut étudier chaque cas.
Commençons par celui de Grand Taipei (Taipei et le Nouveau Taipei). C’est là qu’est né YouBike. Après le lancement pilote de 2009 (500 vélos), le réseau a rapidement pris de l’ampleur. En 2014, Taipei comptait environ 196 stations avec 6 046 vélos en circulation. En 2020-2022, la ville a déployé le système modernisé YouBike 2.0 (vélo blanc) avec déverrouillage par smartphone. En 2021, Taipei s’est engagé à retirer entièrement les vieux vélos 1.0 d’ici fin 2022, afin de basculer vers le parc 2.0. Parallèlement, la mairie a choisi d’augmenter son réseau de 1 338 à 2 000 stations et de 16 562 à 27 500 vélos d’ici 2026, dans le cadre d’objectifs de transport durable. Toutes ces unités sont gérées en partenariat avec Giant (fabricant et opérateur principal), sous l’égide du département des Transports de la Ville.
À Kaohsiung, la deuxième ville du pays, c’est en mars 2009 que la ville a inauguré un système “CityBike” comptant 5 600 vélos et 316 stations. En 2019, ce réseau a été entièrement modernisé en YouBike 2.0 (marque et vélos blancs). Depuis la refonte, le réseau kaohsiungais s’est densifié : 1 086 stations et environ 17,95 millions de locations cumulées étaient comptabilisées à la mi-2022, un parc supérieur à celui de Taipei. La Ville a poursuivi les innovations : en novembre 2022, elle a lancé 500 VAE (YouBike 2.0E) et fin 2024 a porté ce total à 1 800 e‑vélos. Les nouveaux vélos électriques sont très utilisés (environ 8,5 trajets/jour en moyenne) et élargissent la portée des déplacements. Kaohsiung a aussi introduit dès 2023 une assurance individuelle obligatoire pour les cyclistes (couverte dans l’offre) et admet les abonnements mensuels TPASS sur YouBike 2.0, afin de fluidifier le covoiturage urbain.
Enfin, concernant les autres villes, des systèmes YouBike existent aussi à Hsinchu (ville et parc scientifique), Miaoli, Chiayi, Pingtung, etc. Par exemple, le parc de Taichung a été étendu dans de nouvelles villes de Taichung et Changhua, ou les vélos YouBike 2.0 ont été introduits dans des zones touristiques (comme Kenting dans le sud). Dans chaque cas, les autorités locales adaptent tarifs et stations selon les besoins locaux.
II- L’avenir du vélo : entre innovation, défis et développement
Ayant ce panorama des dynamiques territoriales en tête, nous pouvons désormais nous intéresser aux politiques publiques mises en place pour favoriser le succès du vélo partagé à Taïwan.
Il est peu dire que les gouvernements locaux et centraux encouragent la micro mobilité partagée. Les métropoles financent souvent la première demi-heure gratuite (subvention NT$5 à Taipei jusqu’en 2024), imposent une assurance accident automatique aux usagers (gratuite à souscrire) ou l’incluent dans l’abonnement. Des incitatifs financiers existent pour les usagers multi‑modaux (rabais pour correspondance bus/train) et on prévoit des corridors cyclables (« voies vertes ») connectant les stations YouBike aux réseaux de transport en commun. Par exemple, à Taipei et Nouveau Taipei, l’usage combiné des abonnements TPASS (métro/bus) et de YouBike 2.0E est promu pour favoriser le vélo comme transport de « premier/dernier kilomètre ». En mars 2024 Taipei a même étendu la gratuité des 30 premières minutes à l’ensemble des trajets YouBike, dans le but de baisser de 40 % les émissions carbone urbaines d’ici 2030. Sur le plan réglementaire, les villes ont mis en place des systèmes de points pour sanctionner les comportements dangereux (rouler sur trottoir, téléphoner, etc.) sur les vélos en libre-service. Depuis juillet 2024, par exemple, les cyclistes YouBike perdent des points en cas d’infraction, pouvant conduire à une suspension d’usage en cas d’accumulation. Les utilisateurs sont également invités à s’assurer via l’application (sans frais) avant toute location – condition désormais obligatoire pour emprunter un e‑bike 2.0E.
Ceci étant dit, n’oublions pas que le service YouBike est géré par YouBike Co., une filiale du fabricant Giant Bicycles qui conçoit et entretient les vélos. Giant a joué un rôle clé depuis le début (fourniture initiale de centaines de vélos, puis de milliers ensuite). Les départements de transports municipaux pilotent les contrats et subsides ; d’autres entreprises (par ex. opérateurs privés ou technologiques) interviennent sur les aspects logistiques. Au-delà du réseau YouBike soutenu par l’État, Taïwan a connu une brève phase « dockless » privée : en 2017‑2018, des sociétés comme l’allemand oBike et l’américain VBikes ont lancé des vélos sans borne (8 000 vélos d’oBike à Taïwan au pic). Ces services privés ont rapidement disparu face au manque de régulation et au mauvais stationnement des vélos. La conception de YouBike a intégré ces leçons : les vélos officiels sont attachés à des stations fixes (« bornes douces ») et équipés de puces RFID et de verrous électroniques pour limiter les pertes et le désordre. Le modèle YouBike 2.0 est par ailleurs très « smart » : il permet le déverrouillage par QR code smartphone (plus besoin de badge physique), et les statistiques d’usage sont publiquement disponibles. Les dernières évolutions techniques comprennent l’arrivée massive d’e-bikes (YouBike 2.0E) et l’intégration des vélos partagés dans les systèmes de villes intelligentes (par ex. consultation en temps réel via app, géolocalisation).
Conclusion
En somme, Taïwan passe à la vitesse supérieure. L’extension se poursuit avec l’ajout 662 stations à Taipei en 2026 pour atteindre 2 000, et un corridor Taipei–Nouveau Taipei–Taoyuan qui accélère l’électrification avec 1 500 e-bikes 2.0E dès l’automne 2024. À cela s’ajoutent des leviers d’innovation sociale et technique : système de points de pénalité généralisé au nord en 2024, assurance et sécurité renforcées (prise en charge dans la grande majorité des cas). Bref, cap maintenu sur un vélo-partage plus dense, plus simple, plus sûr.
Reste à maîtriser la face cachée de la réussite : entretenir un parc en forte croissance (déjà plus de 10 000 vélos publics), équilibrer finement le maillage pour éviter pénuries et sur-stocks, et prévenir les dérives de stationnement. Le souvenir du dockless incite à la vigilance. Enfin, dernier défi, et non des moindres : rendre le vélo plus compétitif face à la voiture et aux scooters, grâce à un réseau continu de Reste à maîtriser la face cachée de la réussite : entretenir un parc en forte croissance (déjà plus de 10 000 vélos publics), équilibrer finement le maillage pour éviter pénuries et sur-stocks, et prévenir les dérives de stationnement. Le souvenir du dockless incite à la vigilance. Enfin, dernier défi, et non des moindres : rendre le vélo plus compétitif face à la voiture et aux scooters, grâce à un réseau continu de pistes en ville comme à la campagne. Si ces verrous sautent, Taïwan a tout pour faire du vélo le réflexe du quotidien.