Le vélo partagé au Brésil

Après l’Italie, le Royaume-Uni et la Pologne, c’est au Brésil que Qucit a posé ses bagages pour comprendre le fonctionnement de la micromobilité au Brésil. Qucit a rencontré pour vous, cher lecteur, plusieurs experts de la micromobilité afin de prendre de la hauteur et vous partager une vision complète du vélo partagé dans ce pays au potentiel immense. 

Tembici, opérateur et fournisseur de systèmes de vélos partagés en Amérique Latine, Logit, entreprise brésilienne de consultation en matière de transports et la collectivité de Fortaleza vous ont livré ici leurs connaissances.


I-  Tembici, un opérateur qui favorise l’accessibilité de la micromobilité au plus grand nombre 

Mathilde, chargée d’affaires publiques pour Qucit, a eu le plaisir de rencontrer Mauricio Villar, fondateur de Tembici, entreprise fournissant et opérant des systèmes de vélos en libre-service au Brésil. Ce passionné de la mobilité active nous raconte l’histoire de son entreprise : “Tout a commencé par un projet de vélos partagés universitaires à São Paulo, en 2009. En 2011, le projet se transforme en une start-up appelée “CompartiBike”, venant du verbe “compartilhar” qui signifie partager, et donc partage de vélos. En 2017, l’entreprise ne cesse de grandir pour atteindre 500 vélos en opération dans plusieurs villes de l’État de São Paulo.”

Suite à l’acquisition d’un projet existant, “CompartiBike” devient alors Tembici. Soutenu par l’une des plus grandes banques du Brésil, l’entreprise s’est développée pour atteindre près de 30 000 vélos en opération en Amérique Latine. Aujourd’hui, Tembici est présente dans 13 villes d’Amérique Latine, principalement au Brésil, mais également à Bogotá, en Colombie, Santiago de Chile, au Chili et Buenos Aires, en Argentine. “L’entreprise a développé sa propre technologie depuis 2022, et se concentre sur les grandes villes pour protéger le marché sud-américain contre la concurrence européenne et nord-américaine.” nous explique Mauricio. 

Mauricio nous fait part que l’un des challenges les plus importants au Brésil pour lancer un système de micromobilité partagée est le financement. Les financements publics de la part des collectivités sont rares voire inexistants. L’un des rares cas de subvention publique, selon lui, se trouve à Buenos Aires, en Argentine. Il faut alors avoir recours à des sponsors, de la publicité ou bien trouver un équilibre entre rentabilité et accessibilité financière pour les usagers finaux de ces systèmes. Malgré le manque de subventions publiques de la part des gouvernements locaux, certains investisseurs tel que BNDES, une banque nationale brésilienne, mettent en place des initiatives pour encourager les entreprises souhaitant investir en Amérique Latine, en prêtant de l’argent à faibles taux, sur demande de l’entreprise. 

Grâce aux investisseurs, les entreprises comme Tembici peuvent acheter vélos et stations (CAPEX), puis créer un système pérenne et accessible financièrement en se basant sur des partenariats avec des entreprises publicitaires telles que JC Decaux ou Eletromidia, et sur les revenus des usages. 

Pour garantir ces revenus sur l’usage, le système doit être optimal pour assurer la satisfaction des utilisateurs et que le taux d’usage reste stable ou continue d’augmenter. Face à des défis tels que le vandalisme ou les coûts de maintenance, Tembici a fait le choix de développer sa propre technologie anti crevaison avec des roues sans rayon accompagnées d’une chaîne dentée. Cette technologie permet de ne pas avoir besoin de graisser la chaîne, ce qui réduit les coûts et besoins de maintenance, tout en rendant le vélo plus propre. 

Concernant le vandalisme, depuis 2017, Tembici a également mis en service un système tracé par GPS avec une batterie interne longue durée ainsi qu’une alarme sonore. Les vélos mécaniques sont ainsi monitorés et les électriques voient leur assistance électrique bloquée. Suite à ce changement, Tembici a vu passer le vol de vélos de +10% de perte par mois avant 2017 à 0,5% de perte par mois a posteriori

Enfin, chaque ville brésilienne a des niveaux de services, mesurés par le taux de satisfaction des usagers, que l’opérateur doit respecter pour garantir un service de qualité et encourager l’usage de la micromobilité. Tembici permet donc aux usagers de laisser une note de satisfaction sur l’application à la fin d’un trajet. Cette enquête de satisfaction quotidienne favorise non seulement l’obtention ou le renforcement des sponsors, mais donne également l’occasion à Tembici de revoir la position des stations pour être améliorée selon les taux d’usage dans toutes les villes où l’opérateur se trouve. Chez Tembici, ce sont environ 20 à 30 stations qui changent de localisation chaque mois. 

Nous pouvons alors nous demander quel impact positif apporte Tembici à la mobilité partagée ? 

© Tembici, São Paulo

Mauricio nous répond en prenant le cas de São Paulo. Ce qui est observé c’est : 

  • un boost de l’intermodalité : les stations de vélos les plus utilisées sont celles connectées avec le métro.

  • un élargissement de l’accès aux vélos : un partenariat avec uber permettant de trouver une station et de débloquer un vélo.

  • 300 000 personnes par mois qui utilisent le système de vélos partagés, tout abonnement confondu. 

Ceci étant dit, qu’en est-il du point de vue de la collectivité ? Pour en savoir plus, Qucit a rencontré Logit, entreprise de consultation en matière de transports et la collectivité de Fortaleza. 




II-  Interview de Logit et Fortaleza  

Qucit a tout d’abord eu le plaisir d’échanger avec Renata Rabello, responsable de planification urbaine pour Logit, une entreprise qui travaille à la planification urbaine des villes pour les bus, les métros et la mobilité active en Amérique Latine, en Afrique et en Asie. Par le passé Logit a mené plusieurs projets d’études pour l’implantation ou l’agrandissement de systèmes de vélos en libre-service à Lima, au Pérou, à Nairobi, au Kenya, à Sorocaba, au Brésil mais également dans 4 villes en Colombie dont Bogotá, où est actuellement implanté Tembici.

Renata nous a expliqué qu’au Brésil, il pouvait être compliqué de faire évoluer la culture et les mentalités, car les municipalités considèrent encore bien souvent le vélo comme un loisir et un sport, plus que comme un moyen de transport. C’est d’ailleurs suite à une étude passée, que l’experte avait pu démontrer que dans une rue en plein coeur de Rio de Janeiro, 3 voitures avait utilisé une seule et même place de parking en 24h, alors qu’une station de vélos servaient à la mobilité de 200 à 300 personnes en une journée entière. 

Heureusement, certaines villes brésiliennes se démarquent en ayant instauré des systèmes de vélos en libre-service développés et durables dans le temps jusqu’à ce jour. Renata a notamment cité l’exemple de Fortaleza, une municipalité possédant un département dédié aux projets de micromobilité et ayant mis en place plusieurs systèmes de vélos partagés, opéré par Serttel, dédiés aux enfants, aux adultes, aux fonctionnaires de la ville mais également à la location longue durée (possibilité d’emprunter un vélo pendant 24h). 

© Bicicletar, Prefeitura de Fortaleza



Pour approfondir le sujet, Qucit est partie à la rencontre de Victor Macêdo, coordinateur de mobilité urbaine pour la ville de Fortaleza

Tout d’abord, Victor nous a expliqué le contexte du développement de la mobilité urbaine au sein de la ville. “Depuis 2011, le Brésil a vu naître un groupe d’étude des actions de mobilité qui coopère et soutient des acteurs engagés dans des projets de mobilité urbaine : Bloomberg Philanthropies.   C’est ainsi que grâce à la coopération avec Bloomberg Philanthropies, et au financement municipal, que la ville a pu initier son projet de vélos en libre-service” nous explique–t-il. “2014 a été une année charnière pour l’histoire de la mobilité, désormais perçue comme un enjeu sanitaire et environnemental.”

En 2014, la ville de Fortaleza a rejoint l’initiative Bloomberg pour la sécurité routière et le développement d’infrastructures cyclables, qui ont contribué à réduire le nombre de décès sur les routes. Au fil des années, malgré les changements de direction au sein de la collectivité, la politique de mobilité durable et sûre est restée la même, devenant un thème important pour la ville. 

C’est pourquoi, toujours en 2014, la ville de Fortaleza a mis en service son tout premier système de vélos en libre-service “Bicicletar, opéré et fourni par Serttel, avec 400 vélos mécaniques et 40 stations initiales. Macêdo explique que “Le système a démarré grâce à une initiative marketing forte, financée par une compagnie d’assurance maladie. La nécessité étant de convertir l'usage du vélo en un mode de transport attractif pour la population, qui puisse également desservir les populations à faible revenu et ainsi lutter contre les inégalités sociales.” 

Suite à une expansion actuelle grâce à des fonds publics, le système compte désormais 220 stations et prévoit d’en atteindre 300 d’ici 2026, et 500 stations pour 2028. En 2018, une nouvelle loi fut actée pour allouer des ressources de stationnement à la politique cyclable. C’est grâce à cette loi que Fortaleza est la seule ville du Brésil à avoir un système étendu aux zones périphériques de la ville. En complément, Victor Macêdo souligne que “l'intégration avec les transports en commun, la gratuité de ces derniers et l'introduction récente de vélos électriques n’a fait que renforcer l’accessibilité du système au plus grand nombre.”

© Bike Anjo 

Enfin, Victor a mentionné plusieurs initiatives annexes pour favoriser l’attraction de nouveaux publics tels que le reboisement urbain, l’amélioration des infrastructures cyclables ou encore des programmes éducatifs autour du vélo. Actuellement la ville de Fortaleza est fière d’avoir un partenariat avec Bike Anjo, une organisation qui se consacre à l’apprentissage du vélo aux adultes. 

Pour conclure, le Brésil est un pays avec un immense potentiel de développement en matière de mobilité urbaine. Bien que le gouvernement brésilien reste profondément attaché à l’industrie automobile, et que le financement public des systèmes de micromobilité partagée concerne pour l’heure des cas exceptionnels, comme celui de Fortaleza, de nombreuses initiatives, organisations et entreprises dédiés au développement de ces projets voient le jour. Dans le cas de Fortaleza, les bénéfices apportés par le financement public du système de vélo partagé permettent une vraie alternative de transport sécurisé pour tous, y compris les foyers à faible revenus ou excentrés, ce qui est aujourd’hui un défi majeur en Amérique Latine, comme en Europe. 

Pour d’autres villes comme São Paulo ou Rio de Janeiro, qui n’ont aucune subvention publique de la part des collectivités locales, des entreprises pionnières comme Tembici ont recours à des investisseurs privés, des partenariats publicitaires et aux revenus générés par le système pour financer l’exploitation de vélos en libre-service.

En définitive, l’intégration de politiques de mobilité urbaine par les collectivités est cruciale pour le développement de la micromobilité partagée au Brésil. Toutefois, les initiatives déjà en place annoncent un avenir prometteur pour le pays. 

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