Le vélo en libre-service est-il synonyme d’inclusion sociale aux USA ?

 

Avec l'expansion des villes, les problèmes liés à la mobilité urbaine et à l'accès équitable aux services essentiels tels que la santé, l'emploi, la formation et les services publics prennent une importance croissante. Ces défis exigent des solutions afin de garantir que chacun puisse se déplacer aisément et accéder aux services indispensables. Aux États-Unis, où les disparités socio-économiques influencent la vie quotidienne de millions de personnes, l'accès aux moyens de transport peut jouer un rôle crucial dans l'inclusion ou l'exclusion sociale.

Parmi les solutions émergentes, les vélos en libre-service apparaissent comme une option intéressante, mais dans quelle mesure contribuent-ils réellement à l'inclusion sociale ?

Cette question soulève de multiples enjeux allant de l'accessibilité financière et physique, à l'intégration dans les politiques publiques de transport. En étudiant l'impact des vélos en libre-service dans diverses villes américaines, cet article explore leur rôle potentiel dans la réduction des inégalités et l'inclusion sociale aux États-Unis.

Etat de l’inclusion sociale aux Etats-Unis 

L'inclusion sociale est le processus par lequel des efforts sont déployés pour garantir que toutes les personnes, indépendamment de leur origine, puissent atteindre leur plein potentiel dans la vie. Cela inclut la promotion de l'égalité d'accès aux services publics et la participation active des citoyens aux processus décisionnels qui affectent leur vie. Ce concept s'oppose à l'exclusion sociale et vise à intégrer activement tous les individus dans la vie économique, sociale et culturelle, en surmontant les barrières basées sur l’origine, le genre, la classe, la génération, et la géographie pour garantir des opportunités égales à tous​ (UN DESA).

L'inclusion sociale aux États-Unis, pays de l’égalité des chances et du rêve américain, est fondamentale. Elle assure que toutes les personnes, quelle que soit leur origine, aient un accès égal aux opportunités et puissent participer activement à la vie sociale, économique et politique. Cette démarche est essentielle pour exploiter pleinement le potentiel de chaque individu et pour renforcer la cohésion nationale​ (UN DESA).

Aux Etats-Unis, l’un des phénomènes qui met à mal cette inclusion sociale est “l’urban sprawl” . Il peut être défini comme l'étalement de l'urbanisation sur des terrains non bâtis à proximité d'une ville plus ou moins densément peuplée. L’Urban Sprawl a exacerbé les disparités socio-économiques, en créant des zones résidentielles isolées où l'accès aux services essentiels et aux opportunités d'emploi est limité sans véhicules personnels, augmentant ainsi les émissions de carbone et la consommation énergétique​ (Planetizen). 

Reid Ewing, professeur d’urbanisme à l’université de l’Utah, décrit ce phénomène en se basant sur quatre éléments clés : une faible densité de logements, une séparation des usages du sol (où les logements sont éloignés des commerces, des lieux de travail, des écoles et des loisirs), l'absence de centres-villes locaux, et un réseau routier peu connecté. Atlanta est l’exemple classique de l’étalement urbain aux États-Unis, selon Jenny Schuetz, experte en économie urbaine et en politique du logement à Brookings Metro « La population a augmenté, mais la superficie des terres a augmenté beaucoup plus, car les maisons sont de plus en plus grandes et de plus en plus éloignées ».

Les effets de l'étalement urbain ne se limitent pas à l'environnement mais s'étendent aux inégalités socio-économiques et raciales. Les zones touchées par l'étalement urbain, souvent peuplées de communautés à faible revenu et minoritaires, montrent comment le manque de transport en commun et la dépendance accrue aux véhicules personnels peut limiter la mobilité sociale. On y retrouve un accès limité aux opportunités de formation, d’emploi et à des services de santé de qualité, ce qui exacerbe les inégalités et l’exclusion sociale.

Tableau d'analyse de la pauvreté dans les quartiers pauvres aux Etats-Unis

Crédits: EIG analysis of American Community Survey, 5-Year estimates

Les recherches montrent que les Afro-Américains résidant dans des quartiers de haute pauvreté ont des difficultés accrues à accéder à des emplois mieux rémunérés et à des services de santé de qualité. Cette disparité perpétue un cycle de pauvreté sur plusieurs générations​ (Brookings). Le nombre de quartiers métropolitains dans lesquels 30 % ou plus des habitants vivent dans la pauvreté a doublé entre 1980 et 2010. De plus, près des deux tiers des quartiers très pauvres en 1980 étaient encore très pauvres près de quarante ans plus tard. 

Crédits: EIG Analysis of US Census Bureau data and American Community Survey, 5-Year estimates

L'impact de ces conditions de vie se manifeste également par des taux plus élevés de vulnérabilités sanitaires, comme le risque accru d'infection par des maladies telles que la COVID-19. Par exemple à Washington, D.C., où les indices de vulnérabilité étaient nettement plus élevés dans les quartiers majoritairement noirs (Brookings)​. 

Ces défis mettent en lumière l'importance cruciale de l'accès à des moyens de transport fiables et abordables comme facteur clé d'inclusion sociale. 

Le vélo en libre-service comme solution potentielle

Les systèmes de vélos en libre-service, adoptés dans de nombreuses métropoles dans le monde, offrent une alternative de mobilité flexible et écologique. Ces systèmes permettent de louer un vélo à une station et de le retourner à une autre, facilitant ainsi les déplacements urbains courts et intermodaux. La disponibilité permanente et la simplicité d'utilisation sans nécessiter de maintenance personnelle rendent cette option très séduisante. Cela favorise ainsi l'intégration du vélo dans la vie quotidienne des citoyens.

À San Francisco et Los Angeles, ils illustrent comment la micromobilité peut améliorer l'accessibilité urbaine et favoriser l'inclusion sociale.  Particulièrement dans un contexte  marqué par l'étalement urbain et la diversité socio-économique.

Depuis son lancement en 2017, Bay Wheels, le programme de partage de vélos régional de la baie de San Francisco, propose plus de 6 000 vélos, y compris des vélos mécaniques et des vélos électriques, dans plus de 500 stations. À travers le programme "Bike Share for All”, San Francisco  propose des adhésions à coût réduit. La ville permet ainsi l'accès aux vélos 24/7 et l’utilisation de la Clipper Card pour simplifier l'accès et l'usage de différents modes de transport en commun. “Bike Share for All” cible particulièrement les populations historiquement sous-desservies. Le programme s’efforce d'offrir une mobilité urbaine plus équitable en réduisant les barrières à l’adhésion pour les nouveaux utilisateurs de services de mobilité​ (Home - San Francisco Bicycle Coalition). 

Vélo Bay Wheels

Crédits: Bay wheels

À Los Angeles, Metro Bike Share est composé de 2000 vélos répartis dans  215 stations. Le système a été conçu avec une prise en compte particulière de l'équité dès le départ. En collaboration avec des organisations communautaires, LA Metro s’est assuré que le système de vélos partagés soit inclusif et accessible à tous. Un élément clé de cette stratégie a été l'intégration de la carte de transport Tap, facilitant l'accès aux vélos partagés tout en soutenant les utilisateurs à faible revenu par le biais de programmes existants. Cette approche intégrée aide à assurer que le système de vélos bénéficie à une large démographie et soutient la vision d'un réseau de transport diversifié et accessible​ (Better Bike Share) (Bicycle Transit Systems).

Utilisatrice de Metro Bike

Crédits: Bicycle Transit Systems

À partir de ces exemples, il est facile de se rendre compte que les vélos en libre-service ne sont pas seulement pratiques pour les loisirs ou les petits trajets, mais jouent un rôle crucial dans l'atténuation des problèmes liés à l'étalement urbain. Ils facilitent l'accès aux services et aux opportunités, en particulier dans les zones où les services de transport public sont limités ou inexistants. Cette accessibilité accrue peut considérablement améliorer la qualité de vie des citadins, en leur offrant une alternative pour leur déplacement. 

Défis et Perspectives

Les systèmes de vélos en libre-service, bien qu 'offrant une alternative de transport favorisant l’inclusion sociale, rencontrent des défis spécifiques qui limitent leur utilisation par diverses populations

L'un des principaux défis réside dans l'inégalité d'accès géographique. Les stations de vélos sont souvent installées dans des zones prospères, ce qui exclut les communautés à faible revenu des avantages de ce service. Des initiatives, comme celles observées à Philadelphie, cherchent à rectifier cette disparité en étendant les stations dans des quartiers défavorisés, mais la plupart des villes n'ont pas encore abordé ce déséquilibre. Cette inégalité géographique est aggravée par des barrières financières. Le coût des abonnements, même s'il est réduit dans certains cas, reste prohibitif pour de nombreuses personnes à faible revenu, limitant ainsi leur participation à ces programmes.

Utilisateurs de Indego BIke Share

Crédits: rideindego.com

En outre, l'infrastructure urbaine est un autre facteur critique. Les quartiers défavorisés manquent souvent d'infrastructures cyclables adéquates, telles que des pistes cyclables sécurisées, ce qui décourage l'utilisation des vélos en libre-service. Cette situation crée un cercle vicieux où les infrastructures ne sont pas développées en raison de la faible demande, et la demande reste faible en raison de l'absence d'infrastructures sûres. Par ailleurs, la durabilité financière des programmes visant à améliorer l'équité reste précaire. Ces initiatives dépendent souvent de financements temporaires ou de subventions spécifiques, rendant leur pérennité incertaine. Sans un engagement financier à long terme, ces programmes risquent de ne pas perdurer, laissant de côté les populations les plus vulnérables (Shareable).

L'intégration des vélos en libre-service avec d'autres modes de transport public est cruciale pour augmenter leur efficacité et leur attrait. En envisageant ces systèmes non pas comme des solutions isolées, mais comme des éléments clés d'un réseau de transport multimodal, la planification urbaine peut améliorer significativement leur couverture et utilité. Cette approche facilite les connexions entre divers modes de transport, améliorant ainsi l'accès général à différents services et opportunités. 

Pour relever ces défis, il est essentiel que les autorités municipales, les opérateurs de vélos en libre-service, et les communautés collaborent étroitement. Les politiques et stratégies mises en place doivent être inclusives et adaptées aux besoins locaux pour garantir le succès et la pérennité de ces programmes​ (PLOS).

En conclusion, les systèmes de vélos en libre-service aux États-Unis se révèlent être des instruments prometteurs pour améliorer l'inclusion sociale en milieu urbain. Malgré certains défis persistants, ces systèmes facilitent l’accès à des services essentiels et des opportunités économiques en réduisant les disparités de mobilité. Ils encouragent également une vie urbaine plus durable et saine. Toutefois, pour que ces bénéfices soient pleinement réalisés, il est crucial de continuer à améliorer l'accessibilité financière, la sécurité, et l'intégration de ces services au sein d'un réseau de transport public plus large.

Les autorités locales, en collaboration avec les opérateurs de systèmes de vélos en libre-service et les communautés, doivent s'engager à développer des politiques inclusives et adaptatives. Ces politiques devraient non seulement répondre aux défis logistiques et économiques, mais aussi veiller à ce que ces systèmes profitent à toutes les couches de la population, particulièrement celles qui sont le plus à risque d'exclusion sociale. En mettant en place des stratégies ciblées et en favorisant une approche holistique de la mobilité urbaine, les vélos en libre-service peuvent devenir un élément clé d'une stratégie urbaine visant à construire des villes plus inclusives et équitables pour tous leurs résidents.

Pour en apprendre plus sur la micromobilité aux Etats-Unis, lisez notre article sur comment le last-mile à vélo s’intègre dans les mœurs aux US, pays de la culture automobile